La pagaille interstellaire.

On rencontre une grande diversité de situations dans les nébuleuses d'Orion et le milieu interstellaire en général. La matière y est dans tous ses états et en très grande quantité. Pourtant, à l'aune de nos standards terrestres, l'espace entre les étoiles pourrait être considéré comme parfaitement vide. Imaginez un dé rempli d'air. Il faudrait l'étirer dans les trois dimensions jusqu'à 30 kilomètres pour atteindre le niveau de dilution moyen du gaz interstellaire. Le meilleur "vide" obtenu dans les caissons à ultra-vide est encore des milliards de fois plus dense que le gaz interstellaire. On y trouve un millième d'atome par centimètre cube en moyenne et quelques millions de centimètre cube dans les endroits très encombrés. Par comparaison, l'air que vous respirez contient plus de 10^19 atomes par centimètre cube! Nous vivons dans une soupe incroyablement dense. Mais les distances entre les étoiles sont tellement considérables et le volume disponible si grand que la masse du moindre petit nuage équivaut à des milliers de fois le Soleil, voire à des centaines de milliers de fois pour les plus grands complexes nébuleux comme celui d'Orion. Il y a vraiment là de quoi fabriquer beaucoup d'étoiles.
Ce milieu très ténu est loin d'être homogène. La distribution de matière y est très irrégulière. De nombreux processus dynamiques et thermiques dessinent en permanence le paysage. Les instantanés des superbes photographies sont à cet égard trompeurs car le gaz interstellaire est avant tout mobile, turbulent, en perpétuel réarrangement. Si l'on pouvait prendre des films sur quelques centaines de milliers ou millions d'années, et les passer en accéléré, ils feraient davantage penser à un jacuzzi ou à l'écume des brisants les jours de tempête. Des bulles de gaz à plusieurs millions de degrés sont projetées par les explosions d'étoiles. Elles poussent sur les murs de gaz environnants et se faufilent dans les moindres interstices. D'autres bulles à des milliers de degrés gonflent comme des bulles de savon autour des étoiles les plus chaudes. Le reste du gaz, de fait la grande majorité, reçoit ces gifles, ces poussées et ces apports d'énergie comme il peut et y répond avec ses propres humeurs et instabilités. Il est chaud pour moitié (milliers de degrés), mais glacé pour l'autre (de -260 à -200 degrés Celsius), il a parfois du mal à résister à son propre poids sans se recroqueviller. Le remue-ménage et la gravitation façonnent donc le gaz en permanence. Tous ces tiraillements aboutissent à une fragmentation des nuages en entités de toutes tailles, s'emboîtant comme des poupées russes, à la différence qu'il n'y a pas une seule poupée par niveau. Un grand nuage se fragmente en plusieurs moyens, qui eux-mêmes se composent de nombreux plus petits, comportant à leur tour plein de minuscules, et ainsi de suite: la structure finale est fractale depuis les centaines d'années-lumière des grands complexes jusqu'aux grumeaux d'une année lumière.
Le gaz est un mélange d'atomes primitifs issus des premiers instants de l'Univers, pour environ trois quarts d'hydrogène et un quart d'hélium, et d'une toute petite fraction d'atomes (1,5%) fabriqués plus tardivement par les étoiles. On y retrouve tous ceux de la Terre. Ils se combinent en molécules dans les nuages denses où la lumière ultraviolette des étoiles peine à pénétrer pour détruire ces fragiles assemblages. Dans les régions plus exposées aux UV, ils restent sous forme d'atomes individuels. Si la dose de rayons ultraviolets est vraiment trop forte, comme dans les bulles chaudes qui entourent les étoiles brillantes, les atomes perdent leurs électrons qui profitent des photons énergétiques ambiants pour gagner leur liberté. On dit alors que le gaz est ionisé car les noyaux et les électrons vivent indépendamment les uns des autres.

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